Après avoir combattu dans la Résistance, Jean-Pierre Vernant entame une seconde vie : il se prend de passion pour la Grèce Antique et ses mythes, un monde dont il participera à renouveler la compréhension. Dans ses deux derniers livres, il se livre à un exercice auquel il s’était toujours refusé : l’autobiographie. Des souvenirs remontent à la surface : « Pourquoi me suis-je souvenu de ces détails ? Pourquoi suis-je revenu sur eux alors qu’ils s’étaient depuis si longtemps éclipsés au fin fond de l’oubli ? » Archéologue de sa mémoire, Vernant met à jour des liens cachés, parfois refoulés, entre son expérience dans la Résistance et son intérêt pour certains thèmes mythologiques.
Emmanuel Laborie lui rend hommage avec ce film sur la mémoire ; on pourrait presque dire dans la mémoire de Vernant. À partir de films et de photos tirées des archives familiales, de collages, de montages, il explore l’intimité d’un homme qui, parce qu’il n’a jamais cessé d’être confronté à la mort, aimait la vie plus que tout. Le réalisateur revient inlassablement aux livres pour mener son enquête. Cachée derrière l’écriture, il y a la vie ; la vie qui avance vers sa fin, la mort de ses proches, et un dernier combat à mener, après la Résistance, après la Grèce : donner un sens à tout cela. « En eux-mêmes, ni le monde, ni la vie, n’ont de sens » écrit un jour Vernant. La vie et l’oeuvre se nourrissent l’une de l’autre, et finalement c’est l’écriture qui lui donnera ses dernières forces. Car, comme l’avaient compris avant lui les Grecs des cités antiques, c’est en fabriquant des images, en racontant des histoires, que la Gorgone peut être vaincue.